La descente sur « la carretera austral » se poursuit. Le temps est stable: pas de pluie et des éclaircies de temps en temps. Les paysages sont toujours aussi grandioses. Je sais: je me répète mais je vous assure qu'ils sont vraiment saisissants. Nous passons par Puerto Bertrand sur les berges du lac du même nom. Nous longeons le Rio Baker. Il est monstrueux, énorme et d'un bleu pétrole incroyable.

Il y a un gros projet de construction de barrage. Des énormes affiches ponctuent le trajet pour s'opposer à sa construction. Evidemment il y aura des conséquences écologiques importantes: des sites aujourd'hui mis en avant pour le tourisme seront inondés. Le Chili a-t-il vraiment besoin de cette énergie? Ici les gens semblent partagés: il y a ceux qui sont pour car la population de la région augmentera; des travaux de désenclavement seront engagés, ce qui n'est pas rien pour la population locale... Un gars pris en stop avoue qu'il aurait aimé se situer sur le périmètre d'expropriation pour pouvoir bénéficier des indemnités. Son opinion ne reflète sans doute pas la majorité.

Nous passons par Cochrane où nous faisons un dernier plein de gasoil. Malheureusement, nous ne pouvons pas retirer de l'argent: seules les master cards sont acceptées. Il n'y a plus rien jusqu'au bout de la route australe c'est à dire Villa O'Higgins à 250 km d'ici. Avant cela, nous prenons la direction de Caleta Tortel. Ce village est classé. C'est un port mais que l'on ne se méprenne pas. Comme pour tous les ports de la région, le Pacifique est à plusieurs centaines de km. Caleta est au bord de l'eau certes, mais il s'agit de canaux. En tout cas, le village étant construit sur un terrain très accidenté et boueux, un ingénieux système de passerelles a été construit sur tout le village. On ne peut circuler qu'en transitant sur ces multiples ponts en bois. C'est rigolo! Il y a d'autres villages du genre dans le coin. Ils ne sont pas accessibles par la route mais uniquement en bateau. Des fous furieux s'installent, vivent dans des bâches, sans eau ni électricité pendant des mois voire des années. A force de courage, de volonté et de luttes pour être reconnus par l'Etat, ils finissent parfois par s'organiser en vrai village. Pendant la dictature, des opposants politiques y ont trouvé refuge: au bout du monde et au milieu d'une forêt quasi vierge, ils pouvaient se protéger. Nous demandons à tout hasard les tarifs pour admirer les glaciers du coin. Ils sont comme toujours très élevés mais cette fois-ci, on nous explique que l'acheminement du gasoil jusqu'ici leur coûte très cher...

Le lendemain, il pleut des cordes au réveil. On arrive à Puerto Yungay. On ne peut plus continuer car la route est coupée par un canal et la liaison se fait par bateau, deux fois par jour: le matin et le soir. Evidemment on s'est fait avoir et nous devons poireauter toute l'après midi. Il fait vraiment un temps pourri qui nous empêche de sortir. Le seul rade du village est fermé et il n'y a pas un chat dehors. On hésite à rebrousser chemin. Vaut-il vraiment la peine d'aller jusqu'à Villa O' Higgins'? Nous décidons de faire la route jusqu'au bout. Nous passons l'après midi dans la voiture. Les filles travaillent et sont plutôt cool vu la situation. Finalement, nous serons 4 ou 5 véhicules à monter sur le bateau pour traverser le Rio Bravo. Nous naviguons dans les canaux mais cela ne dure qu'une demie heure et le paysage est un peu bouché par les nuages!

Nous passons ensuite une soirée rocambolesque: nous devons de nouveau manger sous la pluie, c'est à dire dans la voiture. Une fois couchés, la voiture se met à fuir sérieusement: on a des grosses gouttes qui tombent sur les duvets. On doit faire descendre les filles de la tente pour changer l'inclinaison de la voiture si on ne veut pas être trempés demain! Il fait nuit et dans la précipitation, Yan oublie la casserole sous le pneu: elle se retrouve écrasée pendant les manœuvres. Les filles sont mortes de rire. Les parents un peu moins. Les nerfs sont mis à rude épreuve...

Le lendemain, c'est décidé: on arrive à Villa O'Higgins et on se cherche un toit. Il ne pleut pas mais il fait gris. Et puis il ne fait pas chaud! Il y a des cascades partout. Nous atteignons ce petit bout du monde chilien. Tout le monde reste chez soi vu le temps! Nous trouvons une auberge. Ils nous installent dans le dortoir mais ils nous aménagent une chambre à 4 et les filles paient demi tarif. On y reste deux nuits le temps de se requinquer. Il y a une pièce commune dans laquelle on peut faire à manger. Un gros poêle chauffe et surtout, les douches sont super chaudes! On a du mal à en sortir! La première journée se passe à se chauffer la couenne et à profiter du confort douillet des lieux. Dès le deuxième jour, nous partons faire une balade vers des points de vues situés au dessus de la ville. Nous embarquons avec nous un enfant de l'auberge, du même âge que Leia. Nous traversons des forêts d'arbres sauvages. Ici, elles sont laissées à l'état naturel ce qui donne un amoncellement d'arbres morts impressionnant. La montée est rude et les filles râlent jusqu'à ce que l'on trouve un lapin au milieu d'une prairie et que la chasse soit déclarée! Elles retrouvent leur énergie et Yan arrive à l'attraper. Des chevaux se baladent également. La vue est splendide. Nous avons un superbe panorama sur une rivière à tresses. Mais il y a du vent et il ne fait pas chaud. On redescend en croisant des carpinteros: pics verts locaux dont le mâle arbore une belle crête rouge.

A Villa O'Higgins il n'y a pas grand chose. Le propriétaire nous explique que les gens vivent de subventions de l'Etat. Réalité ou discours de droite? Il est vrai que l'Etat chilien a subventionné l'implantation de colonies dans cette partie du pays pour avoir une légitimité territoriale face à l'Argentine. Aujourd'hui, il y a toujours une zone de frontière non définie juste au sud de Villa O'Higgins, preuve que les négociations sont dures...

On l'aura compris, il n'y a pas beaucoup de touristes qui viennent car la ville est vraiment enclavée et les moyens de transports sont rares et un peu capricieux. Quant au stop, il faut vraiment avoir de la patience! Les autres routards de l'auberge sont arrivés d'Argentine: ils ont dû payer un bateau pour traverser un lac (apparemment le prix est élevé) et marcher 25 km en montagne avec les sacs à dos. Il y a une petite piste entre les deux pays mais pour l'instant, elle est barrée par un cours d'eau digne des rivières du coin: impétueux et imprévisible. Il est possible de le traverser mais il faut connaître. Ce serait super d'éviter de remonter la route australe pour regagner l'Argentine mais nous ne nous risquons pas à tenter l'aventure. Une fois les touristes arrivés d'Argentine, leur seul alternative est de louer une camionnette à plusieurs ou de faire du stop pour continuer le voyage. Il y a un bus public mais uniquement deux jours par semaine. La camionnette n'est pas donnée.... Tout comme la nourriture, l'essence, sans parler des fruits et des légumes qui ne sont vraiment pas frais et hors de prix. Nous avons dû payer l'auberge avec des euros car il ne nous reste plus de pesos. Nous devrons survivre avec 10 euros jusqu'à notre retour en Argentine.

Nous rencontrons deux jeunes israéliens dans l'auberge et passons un moment à discuter avec eux. En Israel, les jeunes hommes font trois années de service militaire tandis que les femmes font une année. Généralement, pour ceux qui le peuvent, après cette expérience difficile, ils font un voyage assez long pour décompresser. Je pense aux évènements douloureux qui se sont produits récemment en Israel et je ne peux m'empêcher de penser que ces jeunes gens face à nous y ont participé. Nous discutons des conflits. Ils sont d'un pessimisme affligeant: selon eux, il ne pourra jamais y avoir la paix. Leurs enfants et leurs petits enfants subiront la même chose qu'eux. Ils expliquent qu'il y a trop d'enjeux et qu'il est impossible de concilier des points de vue aussi radicaux. Ils avouent que les palestiniens sont les grands perdants du conflit : pas d'éducation, de santé et ils s'en trouvent désolés. Néanmoins, quand l'Etat les envoie au service pour se battre et qu'ils sont dans leur char ou le fusil à la main, ils font leur boulot... Les discussions vont bon train mais nous en sortons plus tristes que jamais: comment vont-ils s'en sortir?

Nous finissons par quitter notre nid douillet pour remonter la route australe. Nous prenons un anglais en stop. Il était parti pour faire ses 50 km à pieds par jour pour atteindre Cochrane à 250 km! Nous croisons également deux belges très sympas que nous retrouverons peut-être au Pérou. Nous roulons jusqu'à Cochrane et nous nous arrêtons au parc local: « la reserva nacional Tamango ». Il fait beau même s'il fait froid. Nous sommes dans un camping et nous nous baladons dans le parc le lendemain. Nous voulons voir des huemules (sorte de cerfs locaux) mais nous ne voyons que des carpinteros. Par contre les paysages sont encore une fois superbes.

Nous utilisons nos derniers pesos pour nous acheter du saumon sauvage. Les réserves sont à sec! Nous passons la frontière à Chile Chico non sans avoir longé une nouvelle fois le lac General Carrera, un des plus beau qu'on aura pu admirer jusqu'à présent. Je ne cesse de m'exclamer et les filles se moquent de moi! C'est sans doute le conflit de génération...

Vidéo : Des vaches sur la piste

Vidéo : La chasse au lapin

Toutes les photos

Janvier 2010 : Descente et remontée de la route australe

 
   


Rio Baker

 

Les filles aux commandes de la barge
 

Des forêts d'allumettes ...
 

Au coin du feu !


Chasseurs de Lapin

 


Jolie rivière
 

Il pousse même des parapluies !
 

Réserve Tamango

 

En ballade dans la réserve
 

Le lac General Carrera
   
© 2009 - Dabo - Rodrigo